Deux fois : de plein fouet ils entrèrent en passant les glaces reluquant les places assises, - les tranquilles, dans un coin qui ne le soit pas moins -, dès lors ils acquittèrent un bout d’angle mi banquette et une chaise du fond de la salle, les manteaux déposés tout juste avec assez de soin, ils s’assoient comme venant d’un climat hostile et d’une rue venteuse. Ils se réchauffent comme au commencement et se montrent leurs dents jeunes et préservées. Egayés de l’aubaine, ils voient le gilet et papillon noir sur fond blanc s’agiter dans leur dos, sur la pointe des pieds, il s’aventure en terrain conquis et dessert la vaisselle solitaire au bord d’une table à deux. Une initiative du garçon, pour un moment séparé de la fille, qui reste à l’attendre en faisant faire des mouvements rotatifs à ses yeux collés, et il s’engage vers le zinc et ses piliers porteurs. (Ils se tenaient à trois, les bras enlacés autour des demis et des ballons en formation serrée, lui, veillait à ne pas peser sur l’édifice d’un coude trop étroitement sûr en demandant les cafés choisis).
La demoiselle tangue avec ses pensées, la journée est terminée et on est là dans un bar à bientôt n’avoir plus l’air de rien, de quoi parler avec lui ? il faut qu’on soit en phase, sur le même créneau d’ondes, si médiocre fut-il. Comment parvenir à loger l’aiguille du souvenir, pourquoi a-t-il choisi cette boisson insipide ? il met le temps à revenir, profitons de cette place face à la baie vitrée, nous pourrions nous ennuyer. Je lui demanderai sans détour son nom et qui il est, et nous pourrons nous étendre sur le vaste index des expériences ésotériques vécues sans concession.
Il revient et les tasses peu après. Les présentations se passent en toute modernité. Ils se disent leurs noms dans le doute informatif d’une attitude détendue, dégagée, la tradition sent d’ici l’intégrité post mortem des êtres individuels. Sans autres bornes que le silence d’un redoutable manque de conversation, ils s’échangent petit à petit leur fond de particularités froissées et vident rapidement le stock de leurs amours les plus dignes. Froidement ils se donnent à deviner leurs signes distinctifs et leurs âges astrologiques, autant de revisites d’une excavation de brocante d’un mois de mai furibond, les amis et les connaissances masqués dégoulinent rapidement en jets spasmodiques sur la surface bombardée de la table qui essuie le tir de leurs bouches gourmandes d’ongles et de filtres. Un halo de bougres inconnus stationnent autour des tasses vidées et des cuillères stériles, transpercés comme des outres et abandonnés en cours de bavardages. Machin et S. ou Esse et Jeff se talquent la face d’une poudre limoneuse chargée de reliefs noirs, les oreilles creusées de propos de comptoir et de gros gains aux courses. Pauvres héros. Les plombiers s’en remettent une nouvelle et bombent leurs histoires, près de la machine à café le serveur remplit un verre de bière en éliminant l’abondante mousse qui dégouline un peu partout. Une mouture ébouillantée sous un œil vide en noir et blanc. La scène tourne et retourne ses meubles dans l’auge des histoires emmêlées et étendues dans le vide. Rien ne bouge quand ils se chambrent, les murs restent immobiles, l’Amstel juste mauvaise se coule à travers la chair tassée et les serpentins d’argent, elle pratique l’habitude quotidienne de noter ses rêves le matin tout en s’assurant d’une main automatique qui ne lui appartient pas encore de la conduite touffue qui vibre un peu moite entre ses cuisses. Un profil psychologique de réunion d’équipiers dans une chaîne de restauration rapide ou de magasins de prêt-à-porter. Les phalanges caressent sans le dire en écartant les poils du milieu. Les personnalités programmées se chargent dans le cerveau de moins en moins irrigué. C’est le réveil assujetti, déjà les croyances fauchées dans la pulpe pour assurer l’hiver.
Les embouteillages se désagrègent comme chaque soir, les deux s’analysent à coups de claquements de lèvres becquées et de gestes des mains peut-être étriqués. La description s’épuise et mate du côté du marchand chinois qui fait le coin de la rue. Cliquetis de pièces, ramassage d’affaires, claquement tintant sur la table, froissement de poches, chaises tirées, redressement du torse et jambes rangées aux pieds joints sous l’assise droite. L’Odyssée invariable ne tarit pas de propos niés dans des lieux obscurs qui se gonflent comme de gros bulbes à l’instant rachitiques, prêt à être mis en terre, sous le soleil et le gel, de saison pour la moiteur des boulevards tordus de craquement printaniers, autant de phrases à apprendre par cœur, celui qui se cache les yeux, violente surprise, l’oubli que le trouble de la présence en face, grasse, à fait naître les centres commerciaux embaumant à coup de cosmétiques répandus le samedi en passant devant les débit de femmes alourdies d’odeurs mondiales uniformisées. La cure se termine autant que la page se vide en remerciements enduis d’urbanité, la physique des musiques de génériques à trois voix se perd dans l’épaisseur grisant les rues de la feuille sombre du ciel, et se courbe devant le doigt qui montre, au milieu de la foule.