Mais la revoilà frêle, au centre des regards. Face à une évidence. Elle hésite. Elle a déjà divisé les possibles par deux, demandé l’appel à un ami, au moins pour ne pas être seule. La pression reste intense. C’est une grosse somme d’argent, quand même. Reste-t-il un joker ?
On attend qu’elle donne une réponse, sa réponse. Comme on le demande à un neurone quand il a reçu un influx. Communique, comme à son époque. Comme on demande du café à une machine à café quand on y a mis trois pièces, on ne peut pas faire plus clair. Qu’elle agisse. Ou alors qu’elle craque. C’est pas les pièces qui manquent. Qu’elle éclate en sanglots. Qu’elle casse un truc sur le plateau. Qu’elle nous joue le spectacle de la vie, en direct, juste avant le journal. Même qu’il faudrait qu’on interrompe l’émission et qu’on se regarde incrédule. Complètement amusés.
C’est son unique décision qui fera fois. Après, on ne la rappellera pas. Et puis, toujours dans l’éclairage bleuté, il y aura d’autres participants qu’on verra défiler. Ils sont déjà en rang, font déjà les gros yeux sur la part du gâteau. Zoom. On l’a vu, parmi le public quelqu’un se ronge les ongles de la main gauche. C’est significatif. A ses traits on reconnaîtra qu’il est de la famille. Un frère, sans doute. Il se tait, et c’est la règle.
Elle, elle voudrait un ordinateur pour réponde à sa place, méthodiquement, ou bien une roue. C’est bien une roue. Après tout le hasard fait parfois mieux les choses que tous ces choix mal faits qu’on égrène sur sa route. Quand on a déjà eu un divorce, les années de chômages, un accident de voiture et un président de merde pendant deux mandats de suite, on finit par redouter d’avoir à lever le petit doigt.
Son regard verse devant elle, de droite à gauche, sans s’arrêter sur rien, de gauche à droite, comme sur une surface lisse. Sur du vide. A l’intérieur, on n’entend résonner que des points de suspension, et les mots un à un ressassés de la question posée qui perdent de leur sens à chaque répétition.
Mais qu’est-ce qu’elle fout ? On se demande. Elle dort. Elle est morte. Vivre c’est agir. Agir c’est choisir. N’importe quoi, au mieux. La vérité, on s’en balance. Ce qui compte c’est de faire. Alors. Bouge. Il te faut répondre, c’est ce qu’on attend de toi, ma vieille. Ma déjà toute vieille, et presque oubliée, il te faudra t’y faire, tu ne nous auras pas distraits. Peut-être un peu mais pas assez. Maintenant, va te faire voir, sur d’autres chaînes, sous d’autres latitudes.
Ou va te faire foutre, tout aussi bien. Nous, on se fout déjà de toi, ensemble derrière nos petits écrans. Toute la milice de nos écrans, démultipliés, à foison. Tu la sens. Ecrans qui nous protègent et nous protégeront. Qui te confinent. Ecrans à cent degrés qui nous empêchent d’être contaminés, par tes faiblesses ou ton innocuité. Ecrans de fumées qui nous cachent, et nous donnent cette assurance si douce qu’on sent perler à la surface. Ecrans de sûreté qui te menacent, en cas de débordement. On ne sait jamais. J’ai vu moi-même des images si choquantes que je me suis juré. Ecrans d’arrêt, t’immobilisent. Et dans la pose prennent le temps, analytiques, révèlent tes ecchymoses.
Un dernier cran qu’il te reste à franchir, et on aura tout vu. On t’aura envoyé en l’air, tester l’oxygène des hauteurs avec les ballons sondes et les stars pornos de l’audimat. Avant de s’y mettre, à présent, on attend que retombent des informations.