Le 1er Novembre, c’est la fête des morts. Avec papa et maman on est allés au cimetière mettre des grosses fleurs chères sur des portes en pierre mises par terre. C’était vraiment très grand et j’ai lu tout un tas de noms différents pendant que maman restait debout devant la tombe et que papa arrachait toutes les autres plantes qui poussaient là. Mes grands-parents sont morts depuis longtemps. Et puis après papa m’a dit d’arrêter de marcher sur les tombes, que ça ne se faisait pas et qu’on allait rentrer. Moi je marchais juste entre elles pour lire les noms sur les rangées de derrière. Il y en avait des vieilles et de la mousse verte recouvrait le ciment, certaines étaient même recouvertes d’herbe. Mais beaucoup étaient toutes neuves et brillantes et mouchetées de pierres précieuses car c’était sûrement des gens riches qu’on avait mis là. On est partis, mes chaussures étaient tachées de boue blanche et il a fallu qu’on marche dans l’herbe pendant un moment pour les nettoyer avant de monter dans la voiture.
A la maison maman était dans la cuisine, comme le dimanche, sauf qu’on était vendredi, et ça sentait le poisson jusque dans la salle à manger. Papa était assis dans le canapé et regardait la télé, car il y avait un défilé important ou une messe, je ne sais plus. Je ne suis pas obligé de regarder avec lui, heureusement parce que je n’aime pas les émissions où les gens chantent ou défilent entre des colonnes ou des arbres, c’est toujours long et après on mange du poisson un peu brûlé.
Demain matin je n’ai pas école non plus, c’est comme pendant les vacances. Papa va bricoler dans le garage ou sous l’évier de la cuisine, il va aussi s’énerver et crier sur ses outils pendant que maman étendra le linge dans la salle de bain. Elle va emmener ma soeur chez le dentiste pour qu’il lui regarde son appareil et je serai obligé de venir avec elles pour qu’on aille ensuite faire les courses. Moi pendant ce temps-là, je reste toujours dans la salle d’attente et je regarde le papier peint marron avec des lignes blanches qui vont dans tous les sens comme des autoroutes vues du ciel. Je m’amuse à les fixer jusqu’à ce que mes yeux voient flou, et on dirait alors qu’elles se mettent à bouger, grossissant puis s’éloignant, filant dans tous les sens sur les murs et le plafond. Il n’y a rien d’autre à faire. Sur la petite table blanche un peu abîmée, il y a toute une pile de vieux magazines mélangés et les pages cornées. Les histoires pour enfants sont complètement nulles. Chez moi j’ai un beau livre qui a l’air fragile. J’ai mis du temps à le lire, c’est le Voyage au centre de la Terre. Il y a aussi un petit dictionnaire Larousse que j’emporte à l’école, et dans lequel il faut chercher des mots, en classe. C’est à celui qui sera à la bonne page le premier. Une sorte de compétition de dictionnaire. Mais souvent les définitions n’expliquent rien et sont remplies de nouveaux mots incompréhensibles. Eux aussi il faudrait les chercher. Ca n’en finit pas.