A moins qu’on le trouvât caché dans sa poche sous la forme pliée d’un mouchoir ou d’un mot doux griffonné sur une note d’hôtel, le hasard n’existait pas.
Elle n’avait pourtant pas pris un rocher sur la tête, elle n’avait pas consommé de tisane hallucinogène, elle n’avait pas non plus bûché des heures sur un problème équivoque ou récité des prières à s’en râper les genoux sur la tomette disjointe. C’était d’abord une idée sans forme, sans provenance, qui avait grandi dans son esprit, durant de longues heures d’oisiveté dans sa vie de nonne et qui ne lui était apparue que là, en passant ses doigts sur la rampe de cuivre tendue vers le sol. Un rien banale.
La vue qui s’offrait à elle... Elle sortait de l’hôtel où elle avait passé la nuit...
Elle regardait l’affluence qui se pressait sur la place, s’amassait en files d’attente aux portes des magasins, coagulait autour des caisses enregistreuses et se dispersait en nuées vers d’autres files agglutinées. D’aussi près, rien n’aurait pu, à première vue, affirmer que tout cela formait une ville. Mais de la même manière qu’une marée de fourmis creuse une fourmilière sans qu’aucune d’entre elles n’ait eu l’intention de le faire ni même la moindre idée du plan final, tous, sur cette place, était autant de véhicules d’un morceau de l’idée du tout, et d’un message pour les autres. Dans ce cas, impossible de s’y perdre. Une ville devait se faire et des gens pour y vivre, tous les chemins mènent à Rome, une fois n’est pas coutume.
Mais comme tous les travaux trop soignés, l’enchevêtrement des rues et les hauteurs des barres d’immeubles avait l’air, en définitive, sortis de nulle part et dirigés vers on ne sait où.