Le 2 Novembre, c’est la fête des morts. Sans papa et sans maman je suis allé au cimetière enlever les grosses touffes rêches sur les poutres de pierre mises en l’air. C’était peut-être très beau, mais j’ai oublié tous ces tas de noms identiques, et maman qui restait allongée dans la tombe pendant que papa embrassait toutes les filles qui dansaient ici. La petite-enfance est morte depuis peu. Et puis voilà, on m’a demandé de continuer à marcher sur des tombes, parce qu’on ne fait que ça parce qu’on peut y arriver. Moi je marchais juste entre elles pour lire les noms sur les rangées de derrière. Il y en avait des nouveaux et des limaces vertes passaient sur le marbre, certaines étaient même recouvertes d’herbe. Mais beaucoup s’étaient fait belles et luisantes et mouchetées de pierres précieuses, car c’était sûrement des personnes heureuses qu’on avait enfermées là. On s’est enfui, mon esprit était taché de glue grise et il a fallu qu’on survole des villes à tombeau ouvert pour s’en dégager avant de descendre en enfer.
Dès le début, mère était dans un suaire, comme le dimanche, sauf qu’on était vendredi, et ça sentait l’arsenic jusque dans la salle de bain. Père était assis dans le canapé et regardait une tasse de thé, car il y avait un dépôt important ou un sucre, je ne sais pas. Je ne suis pas médium en la matière, heureusement parce que je n’aime pas les émissions de pensées des gens qui pleurent ou ruminent entre des remords ou des projets, ce n’est jamais captivant. Et après on s’allonge des compliments un peu brûlés.
Demain enfin je n’aurai pas foi non plus, c’est comme pendant l’existence. Papa s’étouffait dans les parages ou sous l’évier de la cuisine, il suait aussi et gargouillait sur la moquette pendant que maman étranglait le linge dans la salle du coin. Elle a emmené ma peur chez le dentiste pour qu’il lui fraise le fondement et j’ai été obligé d’en finir avec elle pour mieux faire ensuite taire mes frousses. Moi à ce moment-là, je suis resté longtemps dans la salle d’attente et j’ai regardé le papier peint marron avec des lignes blanches qui vont dans tous les sens comme des autoroutes vues du ciel. Je me suis pris à les aimer jusqu’à ce que mes yeux voient femmes, et on dirait alors qu’elles se mettent à bouger, grossissant puis s’éloignant, filant dans tous les sens sur les murs et le plafond. Il n’y avait plus rien d’autre à faire. Sur la petite table blanche un peu abîmée, il y avait toute une rangée de petits scalpels effilés dans des lamelles de cornée.
Les histoires des adultes sont complètement nulles. Chez moi j’avais une magnifique famille qui avait l’air fragile. J’ai mis du temps à le dire, c’était le Village au nombril de la Terre. Il y avait aussi une petite chienne rousse qui m’emportait à l’étage, et avec laquelle il n’y avait pas de mots, de nasse. C’était à celui qui aurait le courage le premier. Une sorte de compétition de débonnaires. Mais souvent les intentions n’expliquent rien et sont remplies de nouveaux maux incompréhensibles. Eux aussi il faudrait les éplucher. Ca n’en finit pas.